La France abandonne Google pour retrouver son indépendance en ligne

La France abandonne Google pour retrouver son indépendance en ligne

Snowden et Cambridge Analytica ont mis la France à l'écart des géants de la Silicon Valley. C'est un changement d'avis qui pourrait avoir un impact mondial !

La France travaille dur pour éviter de devenir une colonie numérique des États-Unis ou de la Chine. Le mois dernier, l'Assemblée nationale française et le ministère de l'Armée de terre français ont tous deux déclaré que leurs appareils numériques cesseraient d'utiliser Google comme moteur de recherche par défaut. Ils utiliseront plutôt Qwant, un moteur de recherche français et allemand qui s'enorgueillit de ne pas suivre ses utilisateurs.

"Nous devons montrer l'exemple", a déclaré Florian Bachelier, l'un des députés présidant la task-force de l'Assemblée sur la cybersécurité et la souveraineté numérique, qui a été lancée en avril 2018 pour aider à protéger les entreprises et les organismes publics français des cyberattaques et de la dépendance croissante vis-à-vis des entreprises étrangères.

"La sécurité et la souveraineté numérique sont en jeu ici, ce qui est tout sauf un problème réservé aux geeks", a ajouté Mme Bachelier.

De nos jours, il est de plus en plus fréquent d'entendre des politiciens français adopter une position belliqueuse sur la technologie. Quelques jours à peine avant la décision Qwant, le secrétaire d'État français aux affaires numériques, Mounir Mahjoubi, avait tonné contre le Cloud Act des États-Unis, une nouvelle loi qui permettrait aux États-Unis d'accéder aux données stockées sur les nuages des entreprises américaines, où qu'elles se trouvent dans le monde. Il a déclaré que la France préparait déjà une réponse avec d'autres Etats européens pour "peser" sur la question.

Bien que relativement nouveau, le concept de souveraineté numérique peut être résumé en gros comme la volonté d'un pays de reprendre le contrôle de ses propres données et de celles de ses citoyens.

Sur le plan militaire, elle inclut la capacité d'un État à développer des capacités offensives et défensives en matière de cybersécurité sans dépendre de technologies étrangères ; sur le plan économique, elle englobe des questions allant de la taxation des grandes technologies à la création de start-ups locales.

En France, tout a commencé avec Edward Snowden. En 2013, lorsque le dénonciateur américain a révélé que la NSA espionnait les dirigeants étrangers et disposait d'importantes capacités d'accès aux données stockées dans les nuages des entreprises privées, ce fut un signal d'alarme pour les politiciens français.

La France travaille dur pour éviter de devenir une colonie numérique des États-Unis ou de la Chine.
La France travaille dur pour éviter de devenir une colonie numérique des États-Unis ou de la Chine.

Cette même année, un rapport sénatorial s'est inquiété du fait que la France et l'Union européenne devenaient des colonies numériques, un terme utilisé depuis lors par les fonctionnaires et les analystes du gouvernement français pour alerter sur la menace posée par les États-Unis et la Chine, sur les questions de souveraineté économique, politique et technologique.

De récents scandales, dont l'imbroglio Cambridge Analytica-Facebook, ont encore ébranlé les hommes politiques et l'opinion publique français.

"Avec Cambridge Analytica, les hommes politiques ont réalisé que la souveraineté numérique était un enjeu politique important", déclare Julien Nocetti, chercheur à l'Institut français des relations internationales (IFRI). Un sondage réalisé à la suite du scandale a montré que deux tiers des Français ne faisaient pas confiance aux réseaux sociaux et s'inquiétaient de l'utilisation de leurs données.

Avec Cambridge Analytica, les hommes politiques ont réalisé que la souveraineté numérique était un enjeu politique important.
Avec Cambridge Analytica, les hommes politiques ont réalisé que la souveraineté numérique était un enjeu politique important.

Le président français Emmanuel Macron s'est particulièrement exprimé pour réclamer l'indépendance de la France vis-à-vis des entreprises technologiques étrangères - notamment en matière de protection des données - montrant son opposition aux entreprises américaines et chinoises dominantes et aux politiques de leur gouvernement sur les questions numériques.

Plus récemment, lors du Forum sur la gouvernance de l'internet, M. Macron a appelé à l'adoption de règles plus strictes pour préserver la vie privée des citoyens, leur sécurité et leur accès à l'internet.

"Si nous ne réglementons pas l'internet, le risque est de bouleverser les fondements de la démocratie", a déclaré M. Macron le 12 novembre. "Si nous ne réglementons pas les relations des entreprises avec les données, les droits de nos citoyens sur leurs propres données, leur accès et leur partage, à quoi sert un gouvernement démocratiquement élu ?

Pour mener la bataille de sa souveraineté numérique, la France s'est d'abord tournée vers la régulation. Déjà en 2008, pour protéger ses propres données et concernant ses infrastructures nationales critiques, la France a mis en place une agence de défense, l'ANSSI.

Quelques années après sa création, les travaux de l'ANSSI ont abouti à une loi sur la cybersécurité concernant les "acteurs nationaux sensibles", qui a été mise en œuvre en 2013 et a ensuite servi de modèle à la directive européenne de 2016 sur la sécurité des réseaux et de l'information (SRI).

Avec cette loi, la France a établi des normes de cybersécurité plus strictes pour les entreprises et les organismes publics qui sont essentiels au fonctionnement du pays.

"Nous avons fait le choix en France d'imposer la cybersécurité aux entités les plus critiques, afin de gagner du temps et de mieux travailler avec elles", explique Guillaume Poupard, directeur de l'ANSSI. "Nous avons été les premiers au monde à le faire car le contexte français fonctionne bien avec la réglementation, c'est un outil à notre disposition qui est politiquement plus accepté