
Le leader historique de Qwant, Eric Leandri, quitte son poste
19 mars 2020
Un moteur de recherche français qui respecte la vie privée et l'anonymat des utilisateurs et qui n'est pas soumis à la législation américaine est arrivé à un point où il pourrait commencer à défier le géant américain de la technologie Google.
Depuis plus de trois ans maintenant, la start-up française Qwant tente de prouver qu'un moteur de recherche peut être efficace et rentable tout en respectant la vie privée et l'anonymat des utilisateurs.
Après un démarrage lent et difficile, Qwant prend enfin son envol. Il y a six mois, le moteur de recherche comptait 8 millions de visiteurs. Ce chiffre est passé à 21 millions en mai dernier.
Et il n'en finit plus de s'améliorer, notamment avec le concours de référencement qu'il a lancé sur la requête "Qwanturank" pour améliorer ses résultats de recherche.
Eric Leandri, le co-fondateur et directeur de Qwant, est confiant : "Nous comptons maintenant sur une augmentation de 15 à 20 % chaque mois."
La moitié des utilisateurs de la start-up se trouve en France, tandis que 30 % d'entre eux vivent en Allemagne. La société, qui a des bureaux et des serveurs à Paris et une équipe de développement dans la ville française de Nice, emploie 60 personnes.
La présence de la start-up en Allemagne est assurée par le groupe de médias Springer, qui détient 20 % des parts de la société et est un partenaire technique important.
Bien que Qwant soit un petit acteur comparé au géant de la recherche Google, qui a une bonne emprise sur le marché européen, Leandri affirme que les chiffres d'utilisation de Qwant sont encourageants.
Il attribue l'intérêt de sa start-up aux Européens qui ne veulent pas être soumis à une surveillance de masse par les géants américains de l'internet et qui cherchent des alternatives.
Il faut faire un choix. L'Europe est le seul endroit au monde où les gens pensent que Google est l'Internet". Jean Manuel Rozan, un ancien financier qui a cofondé Qwant.
À première vue, Qwant est un moteur de recherche standard qui classe les résultats par catégories : web, actualités, réseaux sociaux, images, shopping, musique... Mais en coulisse, il est différent de Google et des autres moteurs de recherche commerciaux.
Qwant ne traque pas les utilisateurs par le biais de cookies (les petits fichiers qui stockent des informations) ; il ne collecte pas de données personnelles de navigation ou de localisation ; il ne dresse pas de profil des utilisateurs.
"Nous ne sauvegardons même pas les adresses des sites web", déclare Leandri. "Pour chaque nouvelle session de navigation, le numéro IP du visiteur est crypté et converti en une séquence de caractères dans laquelle les chiffres sont ajoutés au hasard. Cela permet d'éviter que le numéro d'origine soit retracé".
En effet, les résultats suggérés ne sont pas basés sur le profil de l'utilisateur : "Si deux Français tapaient la même requête, ils obtiendraient exactement les mêmes résultats puisque nous ne savons pas qui ils sont.
Les utilisateurs ne sont pas limités par leurs préférences supposées, nous leur permettons de faire des découvertes plus importantes et inattendues", explique M. Leandri.
Qwant a créé un système d'intelligence artificielle appelé Iceberg pour sélectionner et hiérarchiser les contenus. Les algorithmes d'Iceberg prennent en compte une série de critères tels que la qualité technique et éditoriale du texte ou de l'image, les liens vers la page, les commentaires et mentions sur les réseaux sociaux, le comportement en ligne de l'utilisateur.
"Bien sûr, Qwant est subjectif car nous décidons de l'importance accordée à chaque critère. Mais en même temps, nos résultats sont neutres parce qu'en fin de compte, aucun humain ne les corrige", déclare Leandri.
Pour gagner de l'argent, Qwant utilise la méthode traditionnelle du paiement au clic "tout comme Google l'a fait jusqu'en 2009 avant de se lancer dans le suivi intensif", explique M. Leandri.
Qwant a un accord avec la plateforme d'affiliation Zanox qui le met en contact avec plusieurs sites web commerciaux. "Chaque fois qu'un visiteur clique sur un lien vers un site de vente, nous gagnons entre 44 et 88 cents", dit-il. Qwant a également signé des partenariats avec TripAdvisor, eBay et LeGuide.
"Si un visiteur de site web loue une chambre d'hôtel sur TripAdvisor via Qwant, nous obtenons un petit bonus".
Début 2016, Qwant a franchi le seuil symbolique de 1% de part de marché en France et devrait pouvoir faire de même en Allemagne. "Maintenant, les publicitaires savent que nous existons, nous pouvons nous impliquer dans leurs campagnes", déclare Leandri.
Qwant dispose de ses propres serveurs en banlieue parisienne. "Pour une startup, c'est un investissement énorme de plusieurs millions d'euros mais il est néanmoins essentiel. Si nous voulons garantir la sécurité et l'anonymat de nos utilisateurs, nous devons tout faire nous-mêmes en interne.
Il n'est pas question d'utiliser le cloud américain (centres de données soumis aux lois américaines qui autorisent la surveillance des données étrangères)".
Leandri souligne que sa start-up accorde une grande importance à la protection de la vie privée.
"Avec notre technologie, nous pourrions gagner beaucoup d'argent grâce à un marketing de pointe, mais ce n'est pas ce que nous essayons de faire. Nous voulons montrer que nous pouvons gagner notre vie en faisant un travail qui soit éthique et acceptable tout en respectant les droits et le mode de vie des Européens".
Par opposition à ceux qui veulent surveiller tout le monde en permanence, nous nous efforçons de créer un projet social basé sur la liberté individuelle".
Pour assurer la transparence, Qwant a publié le code source du logiciel de sa société qui interagit avec les machines des utilisateurs : "Les personnes qui peuvent lire le code peuvent vérifier que tout fonctionne vraiment sans aucune collecte de données."
En ce qui concerne l'algorithme spécifique qu'il utilise pour les résultats de recherche, M. Leandri est plus prudent car, selon lui, le fait de connaître ces informations permettrait à un site de se brancher pour s'élever au-dessus des autres dans les résultats de recherche.
Mais Qwant travaille sur une solution technique. En 2017, la startup espère publier en open source des algorithmes qui ne peuvent pas être déformés.
Qwant remet également en question les modèles traditionnels des moteurs de recherche en incluant les messages des médias sociaux de services comme Twitter directement dans les résultats de recherche.
Les utilisateurs des moteurs de recherche voient apparaître quatre colonnes offrant différentes façons de naviguer sur Internet, y compris un flux de médias sociaux.
"Nous voulons donner des résultats provenant à la fois du web et des réseaux sociaux", a déclaré le co-fondateur de Qwant, Jean Manuel Rozan, au New York Times en 2014. "Si nous voulons simplement offrir le même service que Google, nous devrions arrêter maintenant".
Dans l'immédiat, Qwant va se concentrer sur le travail sur mobile, qui ne représente que 12% de son trafic. Leandri dit qu'il se bat pour que les géants technologiques Apple et Google placent Qwant plus haut dans la liste des moteurs de recherche par défaut dans les navigateurs Safari et Chrome sur les smartphones et les tablettes.
Il pense que c'est la seule façon pour les gens de remarquer Qwant : "Nous pourrions créer nos propres applications pour l'App Store et Google Play, mais ce serait inutile.
Pour consulter un site via Qwant, l'utilisateur devra ouvrir un navigateur. Google prendrait instantanément le relais à la prochaine requête car c'est le moteur de recherche par défaut de la plupart des navigateurs".
Qwant tente de négocier un accord avec la fondation Mozilla pour devenir le moteur de recherche par défaut sur Firefox.
Leandri se bat également contre Google sur le plan juridique au niveau européen. "Je suis vice-président de l'association Open Internet Project, qui regroupe près de 12 000 entreprises européennes qui se sentent lésées par les pratiques commerciales de Google".
Il a travaillé avec la Commission européenne pour lancer une action en justice contre Google afin de forcer le moteur de recherche à mettre fin à ce qu'il décrit comme un abus de sa position dominante. Qwant, qui fait également pression sur le gouvernement français, a reçu une réponse positive de la part de nombreux fonctionnaires qui souhaitent voir une alternative européenne à Google, explique M. Leandri.
À l'initiative de la secrétaire d'État française au développement numérique, Axelle Lemaire, plusieurs ministères ont testé l'efficacité de Qwant ces derniers mois. Si les réactions sont positives, les fonctionnaires devront en faire leur moteur de recherche par défaut.
Qwant gagne en popularité aux États-Unis, du moins auprès des professionnels de l'internet : "Récemment, les hauts fonctionnaires de Google ont noté que, sur Internet, la concurrence n'est qu'à un clic. Et ils ont mentionné Qwant".